L’écriture de l’histoire familiale est un formidable voyage à travers le temps et les générations ! Mais comment aborder ce voyage ? Sous quel angle prendre les histoires de nos ancêtres ? Quelle part laisser à notre interprétation personnelle de ces histoires ?
Dans cet article, j’ai envie de prendre avec vous un peu de hauteur sur l’écriture de l’histoire familiale. Et par chance, j’ai trouvé un guide pour nous accompagner : l’éminente écrivaine Irène Frain qui est intervenue deux années de suite au Salon de généalogie de Paris XV.
Cet article rassemble mes notes et mes réflexions concernant les deux conférences d’Irène Frain auxquelles j’ai assisté cette année et l’année dernière au Salon. L’année dernière, sa conférence s’intitulait “Écrire son histoire familiale” et cette année, Irène Frain s’est penchée sur l’écriture à partir d’une photographie de famille.
Mémoire et imagination
Pour commencer, repartons du but de l’écriture. La démarche d’écrire sur l’histoire familiale a pour objectif de poser sur le papier les traces de nos ancêtres. Concrètement, nous suivons leurs traces de pas et même nous comblons le creux de la trace. En effet, plus que simplement retracer le chemin parcouru par chacun, il s’agit de donner vie à ces empreintes et les remplir de sens et de substance. C’est en cela qu’en tant que généalogistes nous faisons revivre le passé et transmettons la mémoire de nos ancêtres.
Comme le dit si bien Irène Frain “Déchiffrer les traces offre un surcroit de vie à ceux qui ne sont plus”.
Dans notre recherche de traces, la mémoire est souvent notre point de départ. Elle nous offre des fragments de récits, des souvenirs de noms, de dates, de lieux. Mais c’est dans notre imagination que ces fragments prennent vie et se transforment en histoires, en visages et en émotions.
Nous réimaginons les vies de nos ancêtres par la mémoire. Et à vrai dire, Irène Frain a souligné combien la réimagination des vies de nos ancêtres est intimement liée à notre propre histoire.
Cette démarche de déchiffrage des traces s’inscrit dans le temps : si on laisse passer le temps, on prend le risque que les traces s’effacent. Irène Frain dit alors que “Toutes les phases de rupture sont propices à la recherche de traces”. Un décès, un changement dans notre vie, et nous voilà partis à la recherche de nos ancêtres. Leurs vie nourrissent la notre. Nos découvertes nous aident à retrouver de la stabilité et créer du lien avec les autres.
Faisons une parenthèse sur la mémoire et les odeurs. La perception des odeurs est étroitement liée au cerveau limbique. Les signaux olfactifs captés par les récepteurs de notre nez sont transmis au bulbe olfactif, qui est directement connecté aux régions du cerveau limbique. Celui-ci est une région clé du cerveau qui joue un rôle central dans la régulation des émotions et des souvenirs.
Cette connexion directe entre les régions responsables du traitement des odeurs et celles impliquées dans le traitement des émotions et des souvenirs explique pourquoi une simple odeur peut raviver des souvenirs enfouis depuis longtemps !
Sous quel angle écrire l’histoire familiale à partir de la mémoire et l’imagination ?
Faisons une petite pause étymologique ! Le mot « histoire » trouve ses origines dans le grec ancien « historia », signifiant « recherche« , « enquête« , « connaissance acquise par l’enquête ». Cette étymologie souligne l’aspect fondamental de l’investigation et de la découverte dans la construction du récit historique. En effet, l’histoire est bien plus qu’une simple compilation de faits et de dates. Elle est le résultat d’une exploration des événements passés à travers les lentilles de la connaissance et de la compréhension.
Quand on aborde l’histoire d’un ancêtre, Irène Frain conseille de se poser la question “Quel est le sens de cette vie ?”. C’est de ce sens que naît l’histoire.
En cherchant à comprendre le sens des existence de nos ancêtres, nous découvrons les motivations, les aspirations, les luttes et les succès qui ont façonné leur parcours. C’est un formidable fil d’Ariane que l’on peut suivre dans notre travail d’écriture. Il nous permet de tracer une trame narrative qui capture l’essence même de la vie de nos ancêtres et qui peut même résonner avec les échos de notre propre existence.
L’évolution du terme « histoire » reflète également son lien étroit avec la transmission du savoir et de la mémoire collective. En latin, « historia » a continué à signifier « enquête » mais a également pris le sens de « récit historique« . Ainsi, l’histoire est à la fois le processus d’investigation et le récit qui en découle, nourrissant ainsi notre compréhension du passé et notre vision du monde.
Notez que dans le contexte du latin classique, le mot « historia » peut aussi avoir une connotation de « récit fabriqué » ou « fiction », voire « mensonge ». Cette nuance souligne la notion selon laquelle les récits historiques ne sont pas toujours des représentations objectives et impartiales du passé, mais peuvent être influencés par des interprétations subjectives.
Je termine cette partie avec une dernière idée abordée par Irène Frain : “lorsque l’on cherche à écrire l’histoire, on redevient enfant, l’enfant qui pose des questions”. Ma fille de bientôt 4 ans passe son temps à me demander “Pourquoi ci, pourquoi ça”. Essayons de revenir à cette époque de notre vie où la curiosité était notre moteur principal, où chaque question ouvrait de nouvelles portes et où il n’y avait pas de place aux préjugés.
Comme un enfant qui s’émerveille devant chaque nouvelle découverte, nous sommes prêts à nous laisser surprendre par ce que nous trouvons, à être flexibles dans nos interprétations et à reconnaître que la vérité peut parfois être plus complexe que ce que nous avions imaginé.
Pourquoi les photographies sont-elles de formidables supports de fiction ?
La photographie, surtout en noir et blanc, exerce un pouvoir fascinatoire. Elle est à la fois muette et parlante. Elle crée de l’imaginaire.
Et pour la faire parler il faut se poser les questions suivantes :
- Qui a pris la photo ? Est-ce une photo amateur ou en studio ?
- Quand a-t-elle été prise ?
- Quelle est l’intention du photographe ?
- Est-elle posée ou prise sur le vif ?
- Où a-t-elle été prise ?
Irène Frain conseille de scanner la photo et de zoomer sur les détails, car ceux-ci, tout comme les arrière-plans, peuvent être riches en informations.
Une fois que l’on a documenté les photos et répondu à toutes ces questions, vient la phase de l’interprétation. S’il y a encore des témoins présent, il est important d’aller les solliciter pour qu’ils parlent du contexte de la photo. On pourra également s’appuyer sur des documents d’archives pour remettre la photographie dans un contexte, identifier des personnes inconnues…
Il peut être intéressant aussi de travailler sur une “verticale” : par exemple en reprenant toutes les photos de la famille à Noël au fil des années. Les photos nous dévoilent des liens qui se créent, des querelles…
Je clôture cet article avec LA question à se poser, que ce soit dans la quête du sens de la vie de nos ancêtres ou dans l’interprétation d’une photographie : “Et si ?”
Et si le regard troublé de notre grand-mère dans cette photo cachait un secret profondément enfoui ? Et si le sourire énigmatique de cet inconnu était le reflet d’une histoire d’amour ?
C’est une façon de stimuler notre imagination et d’approfondir notre compréhension de notre histoire familiale, en nous rappelant que chaque image, chaque récit, est un point de départ pour une exploration plus profonde et plus riche.
Sur ce, je vous souhaite de belles découvertes !
Formidable conférence d’Irène Frain, que j’ai pour ma part suivie, en automne dernier, aux archives départementales du Finistère. L’écrivaine a le don de nous décomplexer dans l’écriture de notre histoire familiale. Comme Marine le dit, lancez-vous vers de belles découvertes !